Rosier, c'était le seul blanc. Enfin, blanc.. dans le sens : clair. Tout le monde le regardait bizarrement, comme si il avait été une sorte de.. monstre. Pourtant, il était mignon, avec sa moue boudeuse et ses cheveux bruns qui lui tombaient sur le front. Mais non. Il était blanc. Ça suffisait à provoquer les quelques rires, les moqueries plus ou moins acides d'un âge cruel. On se moquait quand sa peau rougissait à cause du soleil, quand elle brunissait sous l'effet de ses rayons brûlants, ou même quand elle devenait blême quand les grands s'approchaient. Au fond, c'était lui, l'homme de couleur. Ici, tout le monde était noir café ou noir noir. Sauf les parents de Rosier. Mais personne ne parlait d'eux, un tabou éloquent avait pris place chez les élèves pour que personne ne prononce leurs noms. Un homme d'affaire, une femme d'affaire ; ils étaient riches, plus encore que la moitié de l'île. Pourtant, leur fils avait des uniformes rapiécés, à la limite de l'indécent, avec des trous à l'entrejambe à cause de l'usure et sur les genoux à force de tomber, sous la menace des autres. Tout les matins, il se levait seul à quatre heures. La chaleur l'empêchait de dormir, en plus des terribles cauchemars qu'il faisait. Il ne s'était jamais habitué à ce climat. Il avait huit ans. Il n'était pas insomniaque, juste un peu trop maigre, un peu trop frêle, un peu trop grosse. Pour huit ans, il en avait fait six de stress. Stress que ses parents ne soient pas là, quand il retourne à la maison, stress de devoir choisir entre eux.. il se ressemblaient trop pour être départagés. Tout les deux blindés de thunes, jamais là, toujours prêts à offrir des cadeaux, gentils, attentionnés, aimants, tolérants... Parfaits ? Loin de là. Rosier s'inquiétait toujours pour un rien. Il avait peur qu'il y ait des noix dans ses gâteaux - il y était allergique - ou encore qu'une grosse vague emporte tout pour ne rien laisser derrière. Bref. En quatre mots plutôt qu'en cent, Rosier était un stressé de la vie. Il sursautait à chaque grincement du plancher, à chaque changement de plan. Il angoissait durant des heures en pensant aux robinets mal fermés, à la porte, son lit pas fait ; à tout. C'était un peu compliqué, au fond, de penser à tout ça. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il tripotait avec angoisse le col de sa chemise, trop chaude pour la saison, quand son père est entré en trombe. Le surprenant. C'était surprenant car, même le dimanche, il travaillait. Or, il était là, avec son sourire réjoui et la barbe fraîchement rasée. Que faisait un homme comme ça dans ces îles si chaudes ? C'était un gars plutôt grand, avec des yeux clairs comme la mer et des cheveux blonds comme les blés. Un air détendu, mais tout le monde savait que, à l'instar de son fils, William était un pack de nerfs. Totalement. Incorruptible, légèrement angoissé du futur, totalement psychorigide à propos de l'argent et de tout ce qui y touchait. Rien à faire avec la douce et calme Jane, toujours prête à aider et à prêter. Ils se rejoignaient sur un point : ils pensaient que l'argent faisait le bonheur. Il ne faisait pas celui de Léonard. Celui-ci regardait son père comme s'il avait un alien violet, à pois oranges. Enfin, jusqu'à ce que William lui annonce qu'il retournait enfin aux États-Unis. Léonard n'y était jamais allé ou, sinon, que en photo. Ça avait l'air bien. Il partait dans deux semaines. Léonard dit au revoir à la maison qu'ils occupaient, les orteils dans l'eau, et s'en alla en se retournant, refaisant des probabilités erronées sur le fait que l'avion allait se crasher.

« Mais mec, c'est ze place to be, tu vois ? J'exiiige que tu viennes. Allez. On se prendra, t'sais, un petit appartement. Avec une fenêtre, une jolie vue sur l'appartement d'en face – où y'aura forcément une fille qui se dénudera rien que pour nous ! Ce sera la seule occasion pour toi de quitter Desigual, Gap, et tout ces trucs nuls. Tu feras des nu ! Et j'te prendrais en photo ! DIS OUI ! » Il n'a reçu qu'une moue comme réponse. Une moue qui semblait dire : convaincs-moi. Léonard a bien changé, sûrement car on lui a dit qu'il avait bien des charmes. Des yeux bleus, une taille fine, presque trop maigre, un corps un peu anguleux ; un rien de beauté pour un tout d'égoïsme.